Quel apport de la revascularisation en prévention primaire ?
N. I. Abadli, Service d’Endocrinologie Diabétologie, CHU de Constantine, Algérie, sous l’égide du Professeur N. Nouri.
Abstract : The prevalence of diabetes mellitus in Algeria is 14 % in 2020 where type 2 diabetes occupies 80 % of diabetic states. Around the world, the type 2 diabetic dies mainly from cardiovascular disease, of which ischemic origin is the most frequent cause. The particularity of coronary ischemia in diabetics remains in its silent nature due to autonomic neuropathy, which requires screening for this condition in order to intervene before the stage of fatal acute infarction. This issue now raises the question of the existence of the real benefit of revascularization of myocardial ischemia to the detriment of optimal medical treatment.
Key-words: Silent myocardial ischemia, cardiovascular mortality, cardiac autonomic neuropathy, myocardial scintigraphy coupled with stress test, revascularization, cardiovascular benefit.
Résumé : La prévalence du diabète sucré en Algérie est de 14 % en 2020 où le diabète de type 2 occupe 80 % des états diabétiques. A travers le monde, le diabétique type 2 décède principalement des suites d’une maladie cardiovasculaire, dont l’origine ischémique représente la cause la plus fréquente. La particularité de l’ischémie coronarienne chez le diabétique demeure dans son caractère silencieux du fait de la neuropathie autonome, ce qui impose le dépistage de cette affection dans le but d’intervenir avant le stade de l’infarctus aigu fatal. Cette problématique soulève aujourd’hui la question de l’existence du bénéfice réel de la revascularisation de l’ischémie myocardique au détriment du traitement médical optimal.
Mots-clés: Ischémie myocardique silencieuse, mortalité cardiovasculaire, neuropathie autonome cardiaque, scintigraphie myocardique couplée à l’épreuve d’effort, revascularisation, bénéfice cardiovasculaire.
Définition
L’ischémie myocardique silencieuse (IMS) se définit par un défaut d’oxygénation du myocarde, transitoire et réversible, non perçu par le sujet atteint.
Critères diagnostic : L’ischémie myocardique silencieuse se traduit par l’absence de douleur, l’absence d’anomalies à l’ECG de repos et deux examens de stress pathologiques et concordants.
La classification de Cohn détermine trois types d’IMS : IMS type 1 concerne les patients totalement asymptomatiques, IMS type 2 les patients qui sont en prévention secondaire coronaire et IMS type 3 les patients qui présentent alternativement des épisodes symptomatiques et asymptomatiques.
Le patient diabétique est asymptomatique : IMS type 1.
L’IMS est l’équivalent d’un angor stable sur le plan angiographie (les deux présentent une plaque d’athérome), c’est une maladie coronaire stable appelée aujourd’hui syndrome coronarien chronique.
Physiopathologie de l’ischémie
Il s’agit d’un déséquilibre entre les apports et les besoins en 02 dû à une sténose coronaire (40 – 90 %), atteinte microangiopathique de la fonction endothéliale (dépression de la vasodilatation endothélium dépendante fréquente chez le diabétique) et/ou de la réserve coronaire (mauvaise adaptation du débit coronaire à la demande métabolique du myocarde).
Pourquoi est-elle silencieuse ?
Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer la diminution de la symptomatologie, dont l’augmentation des bêta-endorphines et la dysfonction du système nerveux autonome notamment la Neuropathie Autonome Cardiaque (NAC).
Pourquoi dépister ?
Les auteurs pensent que la détection de l’ischémie myocardique qu’elle soit symptomatique ou non, pourrait prévenir la survenue des événements cardiovasculaires notamment l’infarctus du myocarde.
- Faut-il dépister systématiquement ?
Le dépistage systématique a été largement débattu. Dans l’étude DIAD et DYNAMIT, aucun bénéfice sur la mortalité n’était retrouvé. Il a été également noté l’absence de bénéfice de la revascularisation versus un traitement médical optimisé dans l’étude COURAGE et BARI. Le bénéfice était identique dans l’étude ISCHEMIA, le pronostic des patients ne différait pas qu’ils aient été dépistés ou non.
Selon les résultats des études, la recherche de l’IMS ne semble pas améliorer le pronostic mais sert à renforcer le traitement médical si elle est objectivée.
Le dépistage doit être ciblé d’après l’ESC/EASD en 2019, il n’est pas recommandé par l’ADA 2020, mais à considérer en cas de symptômes atypiques ou maladies vasculaires associées.
Chez qui dépister ?
Le dépistage dépend de l’âge du patient, le type du diabète et ses complications, le nombre de facteurs de risque cardiovasculaire et la présence ou non d’événements cardiaques indésirables majeurs.
Le dépistage est recommandé mais n’est pas systématique chez les diabétiques classés à très haut risque cardiovasculaire, risque intermédiaire et haut risque avec score calcique > 400.
- Moyens de dépistage
Le dépistage repose sur :
- Epreuve d’effort : sensibilité 67 %, spécificité 72 %
- Echocardiographie de stress : sensibilité 85 %, spécificité 77 %
- Scintigraphie myocardique : sensibilité 87 %, spécificité 64 -74 %
- Coro scanner : sensibilité 91 %, spécificité 92 % (utile pour sélectionner les sujets à risque d’IMS qui ne présentent ni macro-protéinurie ni atteinte artérielle périphérique).
La valeur prédictive négative de l’IMS est plus élevée si deux tests fonctionnels sont concordants : scintigraphie myocardique avec stress pharmacologique couplée à l’épreuve d’effort : VPP 45-64 % (Série de Bondy : 264 diabétiques asymptomatiques).
VIII. Prise en charge
Le traitement prend essentiellement appui sur la correction des facteurs de risque cardiovasculaire (IMC, diabète sucré, HTA, LDL cholestérol, tabagisme, sédentarité).
Le patient diabétique avec une atteinte rénale ou cardiaque avérée doit bénéficier d’un inhibiteur du cotransporteur sodium/glucose de type 2 ou d’un analogue de la GLP1 (les deux molécules ont montré leur efficacité à travers plusieurs études en matière de prévention des événements cardiaques majeurs indésirables).
Le traitement médical à visée cardiologique repose sur les anti-ischémiques : béta-bloquant en 1ére intention, les inhibiteurs calciques (Vérapamil ou Diltiazem) sont à considérer en cas d’échec ou intolérance des bêtabloqueurs.
Les bloqueurs du système rénine angiotensine aldostérone (IEC ou ARA2) et les diurétiques sont les plus recommandés pour contrôler l’hypertension artérielle avec comme objectif tensionnel une pression artérielle < 130/80.
La revascularisation, qu’elle soit interventionnelle (angioplastie) ou chirurgicale (pontage aortocoronarien), constitue jusqu’à ce jour le sujet de controverse et son utilisation se limite à certains cas bien définis.
Le bénéfice de l’aspirine en prévention primaire est aussi controversé mais cette dernière pourrait être utilisée en dehors de toute contre-indication, l’effet des statines a été démontré et donc est à administrer en prévention primaire.
La double anti-agrégation plaquettaire (DAPT) en post stenting est souhaitable pour éviter la thrombose sur stent et son bénéfice a été démontré dans l’étude NIPPON.
Traitement médical VS Revascularisation
Plusieurs études ont montré l’apport de la revascularisation chez les patients qui présentaient une maladie coronaire avérée.
L’objectif principal commun de toutes ces études était de montrer la supériorité de la revascularisation par rapport au traitement médical en matière de bénéfice cardiovasculaire.
- DIAD
- DYNAMIT
- COURAGE 2007
- BARI 2D 2009
- FAME 2 2012
- ISCHEMIA 2019
1/ Etude BARI 2D : Etude menée sur 2368 patients diabétiques type 2 (recrutés entre le 1er janvier 2001 et le 31 mars 2005) avec une atteinte des artères coronaires objectivée par angiographie, suivis sur 05 ans, qui ont été répartis en deux bras, le premier groupe a été pris en charge par une angioplastie versus un traitement médical optimal (bêtabloqueur, IEC ou ARA2, aspirine et statine), les patients du deuxième bras ont bénéficié d’un pontage versus un traitement médical.
Le critère de jugement principal était le décès de toute cause confondue et IDM non fatal.
Les résultats ont montré une absence de supériorité de l’angioplastie par rapport au traitement médical sur la réduction des événements cardiovasculaires (P = 0.61) alors que le pontage améliorait les diabétiques stables par rapport au traitement médical seul (P = 0.003).
2/ Etude COURAGE : 2287 patients dont 38 % sont diabétiques type 2, ont participé à l’étude, depuis juin 1999 jusqu’à janvier 2004, suivis sur 2.5 – 7 ans, présentaient à l’angiographie une ischémie myocardique de 1, 2 ou 3 vaisseaux avec une sténose estimée à plus ou égale à 70 %.
Le premier bras a bénéficié d’une angioplastie avec un traitement médical, le groupe de contrôle a reçu un traitement médical seul.
Le critère de jugement principal était le décès de toute cause confondue et l’infarctus de myocarde non fatal. Le critère secondaire était la survenue d’un accident vasculaire cérébral, l’hospitalisation pour syndrome coronarien aigu, la qualité de vie et le rapport coût/efficacité.
Les objectifs de l’étude n’ont pas été atteints, il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes en matière de décès, d’IDM non fatal, d’hospitalisation pour IDM et AVC (p = 0.62), la survie à long terme était identique entre les deux stratégies.
3/ Etude FAME2 :
Dans cette étude, le traitement médical a été comparé avec l’angioplastie avec calcul de la fraction de flux coronarien de réserve. 1220 patients ont été inclus répondant aux critères suivants : une ischémie myocardique angiographique avec atteinte de 1, 2 ou 3 vaisseaux et une sténose de 70 % ou plus. Un contrôle angiographique des patients a été réalisé à 1 – 6 mois, puis à 1, 2, 3, 4, 5 ans. Les patients ont été répartis selon la FFR :
- 888 patients (FFR < 0.8) randomisés en deux bras (1/1) : angioplastie (stent actif de 2e génération) + traitement médical vs traitement médical seul.
- 332 patients (FFR > 0.8) : traitement médical seul, ont été inscrits dans le registre.
Le critère de jugement principal était toujours le décès de toute cause confondue, IDM non fatal, hospitalisation non programmée avec revascularisation urgente.
Fraction de flux de réserve coronarien (FFR) :
Il s’agit d’une technique invasive qui permet le calcul du rapport de pression en aval et en amont de la lésion (sténose), grâce à un filament guide (capteur de mesure intra-coronaire), après l’administration de l’adénosine par voie coronaire à la dose de 12 – 20 ug ou par voie IV à la dose de 140 ug/kg/mn afin de provoquer un stress, dans le but de déterminer si une lésion coronaire est bien associée à un risque ischémique et si elle devrait être revascularisée ou non. Le seuil définissant une ischémie significative est moins de 0.75.
Le taux d’événements cardiaques indésirables majeurs était significativement plus faible dans le groupe angioplastie que dans le groupe de traitement médical seul (10.1 % contre 22 %). Cette différence était essentiellement due à un taux plus bas de revascularisation urgente (4.3 % contre 17.2 %). Les décès et l’infarctus du myocarde étaient numériquement moins élevés dans le groupe angioplastie (8.3 % contre 10.4 %).
Le coût moyen de la procédure et de l’hospitalisation initiale était significativement plus élevé dans le groupe angioplastie (9.944 dollars contre 4.440 dollars) mais la différence de coûts cumulatifs a diminué au cours des 3 années de suivi, pour ne plus être significative à 3 ans (16.792 contre 16.737 dollars).
Il a été conclu que l’angioplastie chez des patients présentant une maladie coronaire stable avec au moins une lésion coronaire et une FFR anormale entraine une amélioration de l’évolution clinique, moins d’angor et une amélioration de la qualité de vie à un coût similaire à 03 ans de suivi, ce qui fait de l’angioplastie guidée par la FFR une stratégie économiquement attractive.
4/ Etude Ischemia : Plus de 5179 patients dont 41 % diabétiques avec une maladie coronaire stable modérée à sévère, randomisés en deux bras : angioplastie ou pontage (2588) versus traitement médical (2591). Ont été exclus les patients avec un DFG < 30, un infarctus récent ou une FEVG < 35 % et/ou IC NYHA 3 – 4, revascularisation dans l’année précédente. Le critère primaire de jugement était le décès de cause cardiovasculaire, l’infarctus, la mort subite, l’hospitalisation pour angor instable ou insuffisance cardiaque.
Aucune différence statistiquement significative n’a été objectivée en matière de décès de toutes causes (6.4 % VS 6.5 %) ni en ce qui concerne l’IDM.
2 % d’augmentation des infarctus en péri procédures et diminution de 2 % des infarctus à 4 ans. Cette étude de grande ampleur confirme l’absence de bénéfice de la revascularisation des études antérieures.
- Recommandations de l’ESC/EASD 2019 sur la prise en charge de l’ischémie myocardique silencieuse:
Le calcul de la fraction de flux coronarien de réserve est nécessaire avant d’envisager une revascularisation chez les patients présentant une coronaropathie stable avec une lésion jugée intermédiaire (Niveau de preuve fort IA).
Chez les patients avec une lésion tri tronculaire, le niveau de preuve devient faible (IIB) et il est recommandé dans ces cas d’utiliser le score Syntax qui permet de décrire la complexité de l’anatomie coronarienne, indispensable dans le choix de la revascularisation (IB).
Chez les patients non diabétiques avec atteinte tri tronculaire, la revascularisation est recommandée, ainsi les deux options possibles (angioplastie ou pontage) se valent lorsque le score Syntax est moins de 22 (IA). Le pontage est envisagé lorsque ce dernier est supérieur à 22.
Chez la population diabétique, la revascularisation doit être chirurgicale (pontage) en 1ére intention en l’absence de risque opératoire (IA).
Pour les lésions du tronc commun, l’angioplastie et le pontage occupent la même place quand le score Syntax est moins de 22, au-delà le pontage est recommandé (IA).
- Indication
• Atteinte coronaire unique et simple : calcul de la FFR :
- Si < 0.7 : Angioplastie
- Si > 0.7 : Traitement médical optimisé
• Atteinte coronaire multiple ou complexe : Calcul du Score Syntax :
- Si < 22 : Angioplastie ou pontage
- Si > 22 : Pontage
- Chez les diabétiques : Pontage
- En cas de resténose intra-stent : stent actif ou ballon actif (IA).
- Si resténose récurrente et/ou diffuse : pontage (IIC).
Conclusion :
Aujourd’hui, la prise en charge du patient diabétique n’est plus centrée seulement sur l’équilibre glycémique, mais au-delà de cet objectif elle cible la protection des organes nobles notamment le cœur et les reins, c’est pourquoi il faudrait supprimer les facteurs de risque cardiovasculaire modifiables, établir la carte lésionnelle du diabète sucré et traiter les complications afin de mieux stratifier le risque cardiovasculaire.
Une ischémie myocardique silencieuse devrait être recherchée chez les sujets classés à très haut risque cardiovasculaire par une scintigraphie myocardique ou une épreuve d’effort et un coro scanner est recommandé chez les sujets classés à risque intermédiaire et haut risque pour restratifier le risque et rechercher une IMS chez cette catégorie de patients. Ainsi un score supérieur à 400 indique la recherche d’une ischémie silencieuse par une scintigraphie myocardique ou épreuve d’effort, à compléter par une coronographie en cas de sténose significative (calculer la FFR ou Syntax pour orienter la revascularisation).
Les patients diabétiques à haut risque cardiovasculaire doivent être mis sous Aspirine et Statine en prévention primaire des événements cardiovasculaires majeurs indésirables.
Les inhibiteurs du cotransporteur sodium/glucose de type 2 et les analogues de la GLP1 sont recommandés chez les patients qui présentent une maladie rénale chronique et une pathologie cardiovasculaire établie.
La collaboration entre diabétologue, cardiologue et néphrologue est nécessaire pour une meilleure prise en charge du patient diabétique.
Références
- Les journées de Nicolas Guéritèe 2018 : Mise au point du professeur E. Cosson.
- Recommandations de l’ESC/EASD 2019.
- Recommandations de l’ADA 2020.
- 2019 Mayo foundation for medical education and researech in Mayo clinproc.2019; nn(n) :1-14
- Circulation research, journal of the American Heart Association March 11 2008
- New England journal of medicine sep 3.2014
- Stergiopoulos et al. JAMA Intern med.2014; 174:232-40.
- International study of comparative Health effectiveness with medical and invasive approaches. AHA 2019